top of page
Alter Ego

Ressuciter les morts le temps d'une analyse ?

Il y a quelques jours Laurent Mucchielli a publié un billet de blog intitulé "L'épidémie de Covid-19 a eu un impact relativement faible sur la mortalité en France".

Pour moi qui surveille également les chiffres de la mortalité en France j'ai été surpris du décalage entre les résultats annoncés dans cet article et ceux que j'ai analysé. Ce qui en soi n'est pas forcément surprenant car après tout je ne suis qu'un amateur de statistiques là où l'article est signé par des universitaires et des membres de l'Insee*. Mais il est surtout publié sur Mediapart, dont on ne peut pas ignorer l'oppposition à Emmanuel Macron. D'où la volonté des auteurs du billet de blog d'aussi démontrer que si la Covid-19 tue c'est dans des proportions équivalentes à un fort épisode de canicule voire à une épidémie de grippe, mais sans plus.

C'est qu'il y a un objectif politique avec cette analyse, consistant à expliquer que le gouvernement a gonflé le nombre des décès pour mieux justifier ses décisions en matière de gestion de la pandémie. Les auteurs eux-mêmes ne s'en cachent pas puisqu'ils écrivent que "ce résultat est très loin des hécatombes annoncées, qui ont effrayé la population et pour lesquelles des mesures sanitaires disproportionnées ont été mises en œuvre et continuent de l'être.". Ce qui est bien une prise de position politique et non une analyse statistique.

A l'image des auteurs du billet j'ai toujours analysé les chiffres des décès "toutes causes confondues", précisément pour éviter les discussions oiseuses entre décès directs et indirects par rapport à la COVID-19. Ceci devrait au moins nous donner un point de départ commun et puisqu'il faut bien un premier chiffre de référence pour démarrer une comparaison prenons celui des décès de 2019. Sauf que les auteurs du billet de blog préviennent très vite que le nombre "brut" des décès pour 2019 est sous-évalué du fait de "la moisson des épisodes grippaux de 2015 et 2017**". C'est là le coeur de leur article : puisque nous démontrons que les décès de 2019 sont inférieurs à ce qu'ils auraient dû être, les décès de 2020 ne montrent pas une augmentation sensible de la surmortalité en France. Ce que je reproche à ce raisonnement c'est qu'il est de pure forme, statistiquement exact en tout point tout en étant faux puisque ce ne sont pas les chiffres de la vraie vie, si je puis le dire ainsi. On peut tourner les chiffres dans tous les sens il y a bien eu en 2020 669 000 décès et non pas 629 000. Au risque d'enfoncer une porte ouverte un décès de 2020 est un décès de 2020, un habitant vivant de 2020 est un vivant de 2020. De mon coté j'ai pris comme référence non pas directement les chiffres bruts de 2019 mais la moyenne des chiffres bruts de 2018 et 2019**. Ce qui me classe d'après les auteurs dans la catégorie des gens qui se trompent car "utiliser la mortalité de 2019 en tant qu’élément de comparaison pour estimer l’impact de l’épidémie en 2020, comme cela est pratiqué couramment, est donc une simplification doublement biaisée". A mes yeux c'est avant tout employer un argument d'autorité, rien d'autre. Je considère au contraire que tout décompte doit se faire sur la population du moment et non pas en intégrant dans une table des "morts-vivants", des décédés de la grippe de 2017 qui ressuciteraient le temps d'une analyse pour mourir à nouveau une fois l'analyse terminée.

Regardons de plus près 2020, l'an 0 de la pandémie. Les auteurs du billet de blog l'affirment, 629 000 décès étaient attendus pour cette année-là, or l'Insee a annoncé 668 806 décès (que vous m'autoriserez à arrondir à 669 000) soit 40 000 décès supplémentaires. Dans leur article les auteurs du billet de blog expliquent que la surmortalité Covid-19 n'est que de 2,6%. Leur démonstration est simple : il faut tenir compte des épisodes des années précédents (grippe, canicule, le fameux effet moisson) et redresser ces chiffres avant que de leur appliquer la mortalité Covid-19. Le but est bien de minorer les effets mortifères de la pandémie, non pas en les niant mais en remontant le point de référence. Voyons pour cela le tableau des décès mensuels tel que chacun peut l'extraire des données de l'Insee.

Je veux attirer votre attention sur Mars et Avril, avec respectivement +10,7% et +34,5% de décès supplémentaire en 2020 par rapport à la moyenne de 2018-2019. La seconde vague est également bien visible, +15,8% en Octobre, +30,2% en Novembre et encore +18,9% en Décembre. Au final l'Insee a recensé 9,3% de décès supplémentaires en 2020 que lors des années 2018-2019. Il aurait été plus logique à mes yeux de partir de ce constat et de découper ce +9,3% pour y déceler les effets de la pandémie, de la grippe de 2017 ou du vieillissement de la population. Vous pourriez me répondre que puisque cela a été fait dans l'autre sens cela revient au même. Non pas puisqu'à aucun moment les auteurs ne citent le chiffre du nombre total de décès pour 2020 ; ils ne cherchent pas à détailler le +9,3% - ce qui en creux validerait les 669 000 décès de 2020 - mais se limitent à expliquer comment ils ont calculé leur +2,6%. La décomposition en "moins" et "plus" de 65 ans est également un révélateur.


Comme les auteurs le disent, on ne voit pas - ou très peu - les effets de la pandémie sur cette catégorie de la population. Je vous avouerais que ce n'est pas une surprise et que tout le monde est d'accord sur ce point. Notons toutefois que les "pics" d'Avril et de Novembre 2020 ne peuvent pas s'expliquer autrement que par la présence de vagues épidémiologiques à ces périodes. Et comme les moins de 65 ans n'ont été concernés ni par les grippes de 2015 ou 2017 ni par les canicules, nous devons bien déduire que ces chiffres là n'ont pas besoin d'un quelconque redressement avant analyse.

Mais le plus instructif, le tableau reine, est celui des décès des plus de 65 ans.

Selon l'Insee il y a eu 11,1% de décès supplémentaires en 2020 par rapport à la moyenne des années 2018-2019 pour cette catégorie d'age. La présence des deux vagues y est très nette : Mars-Avril 2020 puis le dernier trimestre 2020. A contrario l'absence même de surmortalité durant les mois d'été ne peut que confirmer l'effet direct de la COVID-19 sur les décès des plus de 65 ans. On peut même aller jusqu'à écrire que la vaccination commence à porter ses fruits puisque la surmortalité de cette catégorie d'age baisse en continu depuis maintenant 3 mois : +22,1% en décembre 2020, +13,8% en Janvier 2021 et +7,1% en Février. Et ce alors même que nous avons été durant tout cet hiver sur des niveaux elevés de diffusion de l'épidémie, sans parler de l'arrivée des variants.

Alors oui, selon l'adage on peut faire dire ce qu'on veut aux chiffres. Mais je préfère toutefois mon interprétation, quand bien même elle serait maladroite***. Non pas par vanité mais parce que je me suis contenté de les regarder, sans aucun calcul.


* Pour être exact Laurent TOUBIANA, Laurent MUCCHIELLI, Pierre CHAILLOT et Jacques BOUAUD signent cet article. ** Je rappelle ici les chiffres de l'Insee, 609 925 décès en 2018 et 613 351 en 2019. ** A l'image de la moisson les épisodes grippaux de 2015 et 2017 ont tué avant l'heure une population qui autrement serait décédée plus tard. *** Je suis prêt à lire d'autres explications que la mienne voire réviser ensuite mon jugement.



26 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Point mort.

Nous vivons plus ou moins sous cloche depuis maintenant 20 mois et rien n'est annoncé pour espérer sortir un jour de cette pandémie. Le...

Comments


bottom of page