Les hostilités sont lancés diraient certains observateurs. La conférence de presse de ce matin aura été le "top départ" de la dernière réforme des retraites(1). Premier constat sémantique, le gouvernement parle d'avant-projet. Sans faire d'éxégèse éxagéré (!) il est difficile de croire que ce ne sont là que des pistes qui seront nécessairement amendées par la suite. En effet, qui dit "avant-projet" dit qu'ensuite il y aura un "projet". Or ce n'est même pas un projet qui nous a été présenté mais bel et bien un projet de loi, la conférence de ce matin faisant office d'exposé des motifs. Vous verrez d'ailleurs la différence entre le projet de loi tel qu'il sera proposé aux élus de la Nation et cet avant projet...je doute qu'il y en ait. On pourrait à ce stade m'accuser de procès d'intention et arguer qu'il y aura des ajustements, mais je fais plutôt confiance au nouveau règlement de l'assemblée nationale qui donne désormais plus de pouvoirs à l'opposition (sic).
Second constat, le gouvernement nous a donc livré son avant-projet(2). Autrement dit les cartes sont abattues, et le premier ministre n'a plus d'as à sortir de sa manche. Maintenant que tout est sur la table, aux uns et aux autres de faire le tri. Pour ma part je considère que les retraites sont un tout, et qu'effectivement beaucoup de curseurs doivent bouger afin de trouver le bon équilibre. Par exemple - et au risque d'heurter certains de mes lecteurs(3) - je pense qu'il est en effet possible de reculer l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans. D'ailleurs la présidente du Medef Laurence Parisot, qui milite pour un report de l'âge légal à 65 ans, a considéré sur France 2 qu'un relèvement à 62 ans "serait un minimum". Alors prenons-là au mot, et réclamons du Medef qu'il se contente de ce "minimum" et qu'il ne joue pas au perroquet sur une échelle. Mais pour que ce recul de deux ans soit perçu comme juste par la majorité des Français, il faudrait réunir d'autres conditions, conditions qui hélas ne sont pas dans l'avant-projet.
Tout d'abord l'arlésienne que constitue la prise en compte de la pénibilité. Le gouvernement en a détourné l'esprit en n'accordant de bonus qu'aux seuls "invalides"(4). En tout état de cause c'est sur une pente bien savonneuse que le gouvernement se précipite ici, en considérant que seul le travail qui rend infirme est pénible...
Je milite moi pour une semi-individualisation du temps de travail, c'est-à-dire dans un premier temps décider avec les partenaires sociaux à partir de quelles conditions un poste de travail doit être considéré comme pénible. J'ai déjà en tête le travail de nuit, le travail dans des conditions mesurables de bruit ou de température particulières, le travail posté (2x8, 3x8), et d'autres encore. Le certificat de travail est le document idéal pour comptabiliser dans la carrière du salarié le temps passé en "environnement pénible". Une règle de calcul permettrait ensuite de bonifier ce temps.
Autre point sur lequel je suis en profond désaccord, celui de l'âge du départ à taux plein même si le temps de cotisation n'est pas atteint. Le reculer à 67 ans est injustifié, tout simplement parce que les bénéficiaires de cette mesure sont celles et ceux qui ont eu la carrière la plus pénible. Pas tant en terme de conditions de travail - encore que - qu'en terme de coupure ou de cassure dans leur carrière. Cette limite est bien celle de la retraite du pauvre, la retraite de celui ou celle qui n'a pas réussi à cotiser assez pour partir avant cet âge, et qui partira en retraite avec le minimum du minimum. Le gouvernement ne va tout de même nous faire croire que ces personnes-là pourront augmenter leur pension par un "complément retraite"... Par un étrange retournement de situation, porter le départ "minimum" de 60 à 62 et laisser ce "filet de sécurité" à 65 ans serait avantageux pour la tranche de la population la plus pauvre puisque l'écart de temps de cotisation serait dimunué de 2 ans.
Il y a par contre un point qui n'a pas vraiment été évoqué c'est celui des cotisations du régime général. Là-aussi au risque de heurter certaines sensibilités je verrais d'un bon oeil la possibilité pour un salarié de moduler son taux de cotisation durant sa carrière. Pourquoi ne pas autoriser à ce que - en fonction de ses posssibilités ou de ses envies - il puisse cotiser à hauteur de 120, voire 140%. Non pas pour toucher plus une fois en retraite, mais tout simplement pour partir plus tôt en retraite. Cette idée dont je ne peux dire ici si elle est intéressante ou inutile serait de toute manière mal perçu par les banques qui verraient là une concurrence déloyale envers leur "complémentaire retraite"...
Pour terminer encore deux choses. Le gouvernement a donné des chiffres à propos de l'espérance de vie, considérant que même en partant à 62 ans le temps de retraite serait plus long qu'en 1982 lorsqu'on partait en retraite à 60 ans. Mais au nom de quel principe l'allongement de la durée de la vie de l'être humain devrait être utilisé à travailler ? Beau sujet de baccalauréat en perspective.
(1) Inutile de faire le compte... (2) Je respecte le langage de Matignon (3) Et de mes lectrices. Dans tous mes billets le féminin est systématiquement implicite (4) Taux d'invalidité reconnu par la Sécurité Sociale d'au moins 20%
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