C'est la première fois que j'écris à propos du récent phénomène dit de l'écriture inclusive. Autant le dire tout de suite, je suis - moi aussi - un farouche opposant de cette pratique, principalement à cause de sa connotation militante, de sa stigmatisation puisque cela consiste bel et bien à distinguer l'Homme de la Femme. J'ai employé «distinguer» à dessein parce que l'écriture inclusive n'inclut rien ; il distingue, il énumère.
J'ai trouvé dans l'article de Bastamag sur les dividendes du CAC40 une illustration idéale pour mieux décrire mon opposition à l'écriture inclusive. Comme nous allons le voir, cette pratique n'est pas encore comprise par ceux qui en font la promotion ; permettez-moi d'y voir là la preuve de son inutilité. Regardons un premier paragraphe.
Il débute par «Les étudiant.e.s» écrit en écriture inclusive. Cela donne le ton de l'article même si je pense que c'est une règle que Bastamag s'est imposé à lui-même : tout le temps écrire avec l'écriture inclusive. Nous devons donc nous attendre à ce que par la suite chaque mot pouvant être écrit en écriture inclusive le soit. Mais si « les soignant.e.s sont épuisé.e.s » de manière inclusive ce n'est pas le cas des «caissières». Est-ce à dire que pour Bastamag les hommes ne peuvent pas être caissiers ? Assurément pas. Je pense que l'auteur* a été pragmatique voire - pis encore - victime du cliché qui ne consiste à ne voir que des caissières là où il y a parfois des «hôtes de caisse»…
Pourtant il n'y a pas de raison pour «inclure» tous les sexes et d'écrire «caissières» en écriture inclusive. Mais comment l'écrire justement ? «caissier.e.s» sans mettre d'accent sur le "e" ? «caissiers.ères» est juste inclusivement parlant mais illisible visuellement. On le voit bien avec ce cas, il faut presque avoir un dictionnaire sous la main pour écrire en écriture inclusive**. En fait je soupçonne l'auteur d'avoir tout simplement contourné l'obstacle.
Plus loin dans ce paragraphe l'auteur oublie - oh sacrilège ! - de passer en écriture inclusive salariés, qui aurait dû être orthographié «salarié.e.s». Vous conviendrez avec moi qu'on ne peut pas au cours d'un article passer certains mots en écriture inclusive et omettre ce néologisme scriptural pour d'autres mots. On le fait tout le temps ou bien on ne le fait jamais. Je pourrais entendre l'argument de l'oubli mais nous avons déjà vu caissiers, nous voyons ici salariés et nous n'avons pas encore parcouru tout l'article ; cela fait beaucoup d'oublis. Poursuivons.
Je note ici que «les soignant.e.s (...) épuisé.e.s» sont devenus deux paragraphes plus bas des «soignantes et non soignantes». Il était pourtant possible d'écrire «soignants et non soignants» voire "personnel soignant et non soignant" ou d'utiliser l'écriture inclusive : «soignant.e.s et non soignant.e.s».
Comme pour les caissières vu plus haut, je pense que l'usage du seul «soignantes» a pour objectif d'y associer le cliché que l'on peut s'en faire, celui d'un personnel exclusivement féminin, sous payé et mal employé. Ceci explique aussi l'arrivée des «non soignantes» qui par parenthèse provocatrice ne sont pas épuisées.
Enfin, «construire près de 1300 lycées d’un millier de place» nécessite bien sûr des places, au pluriel. Cette faute d'accord - lègère - est à mes yeux symbolique de l'utilisation de l'écriture inclusive dans un article. Il est tentant après tout de vouloir écrire «place.s» puisqu'elles seront utilisées par des lycéens et des lycéennes. Peut-être l'auteur s'est-il interrogé là-dessus ?
Mais le clou de la non-utilisation de l'écriture inclusive dans un article qui en fait usage est à trouver dans le paragraphe suivant.
Décidément les clichés ont la vie dure et Bastamag n'a sans doute pas imaginé que l'on pouvait être à la fois femme et très riche, ce qui nécessiterait d'écrire «gagnant.e.s». J'ajoute que le média ne peut pas l'ignorer lui-même puisque dans ce même paragraphe il cite «Bettencourt», autrement dit «Mme Bettencourt» ; Bastamag ne pourra pas nous dire le contraire.
«Au dévouement et à l’esprit de sacrifice des soignant.e.s et premières de cordée répondent les appétits grossiers des multinationales et de leurs actionnaires»
Comme pour «caissières» discuté plus haut, les premières de cordée sont des sacrifiées de l'écriture inclusive. Car l'accorder seulement au féminin n'est possible qu'à la condition d'écrire «soignantes». En choisissant «soignant.e.s» on s'oblige à prendre «premier.e.s» et de se passer d'un accent qui - par son absence justement - démontre là toute son utilité. Si j'avais été l'auteur j'aurais écrit d'une manière plus commune : «Au dévouement et à l’esprit de sacrifice des soignants et premiers de cordée répondent les appétits grossiers des multinationales et de leurs actionnaires». Finalement l'usage du féminin implicite a parfois bien des avantages.
Bastamag ne peut pas l'ignorer, il y a des femmes au chômage. Alors si on utlise l'écriture inclusive dans un texte on doit écrire "chômeur.euse". C'est moche comme tout mais c'est la dure loi de l'écriture inclusive à appliquer, coûte que coûte...
Pour conclure le décompte est de 10 mots pouvant être écrit en écriture inclusive ou pas. Dans le texte publié par Bastamag 3 le sont et 7 ne le sont pas. Alors vraiment, puisque l'écriture inclusive ne va pas de soi pourquoi ne pas l'abandonner ? * Je devrais dire les auteurs car ils sont deux : Maxime Combes et Olivier Petitjean ** Sage-femme est invariable en écriture inclusive ...
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