Tout a pourtant commencé comme un conte de fées de notre temps, à coups de buzz et de story sur les réseaux sociaux. Mourad, un jeune adolescent, utilise fin 2018 le piano public de l'hôpital de la Timone à Marseille, faute d'en avoir un chez lui. Assurément doué, il est capable à seulement 14 ans de donner une interprétation louable de la «Fantaisie impromptu» de Frédéric Chopin, ce qui donne une idée de son niveau de jeu. L'histoire s'accélère lorsqu'une vidéo montrant le minot* au piano commence à faire le tour d'internet. La célébrité comme les articles élogieux lui tombent alors dessus.
Mais voilà, Mourad vient des quartiers nord de Marseille, d'un milieu défavorisé. Tout autant victime de son talent que des clichés autour de sa personne il ne sera pas celui qui montre qu'on peut «être renoi, porter des sweats à capuche et jouer la Fantaisie Impromptu de Chopin au piano»**.
Quand on le retrouve deux ans plus tard, il chante (il n'a pas pourtant été repéré pour cela), il compose "Au coeur de mon hall". Il raconte les histoires du quartier où il a grandi, la Castellane, comme l'explique l'antenne locale de France 3. Fin de l'histoire. Mourad ne pouvait pas continuer d'interpréter Chopin, Brahms ou Debussy. Tout simplement parce qu'un jeune de la cité ne devrait pas jouer cela.
Il ne pouvait pas sortir un album consacré à Beethoven ou à Mozart, montrer à tous son talent pianistique. A la place «on» l'a vite remis sur les rails qu'il n'aurait jamais dû quitter et tout le monde de s'extasier de le voir chanter son quartier, ses galères ... Je ne sais pas qui faut-il blâmer, ni ce que deviendra Mourad dans quelques années. Ce que je sais par contre c'est que la logique de son destin était ailleurs : conservatoire, concours de piano et pourquoi pas récital à la Roque d'Anthéron par exemple. Mais non, pas lui ; on ne lui aura même pas donné cette chance. Sans doute parce que cela ne doit arriver que dans les films mais jamais, oh grand jamais ! dans la vraie vie.
* Argot local pour désigner un enfant, un adolescent.
** Article du Figaro, décembre 2018 : "Une belle histoire qui montre qu'on peut «être renoi, porter des sweats à capuche et jouer la Fantaisie Impromptu de Chopin au piano», plaisante un internaute."