Le sujet est passé presque inaperçu, mais dans l'avalanche des annonces faites vendredi 13 février par Nicolas Sarkozy(1) figure la censure d'Internet. Car comment appeler autrement le procédé qui consiste pour le législateur de décider quels seront les sites "autorisés" et ceux qui seront "interdits" ? Pour expliquer sa décision, le Président de la République s'appuie sur un argument imparable, la lutte contre la pédopornographie. Qui pourrait en effet raisonnablement s'y opposer ? Pas moi en tout cas, et pourtant je suis contre l'idée de bloquer ces sites. Position bien dangereuse vous en conviendrez, mais suivez néanmoins mon raisonnement : Une fois cette loi en place, et peu importe la méthode technique qui sera utilisée, l'utilisateur lambda d'internet aura accès à l'immense majorité des sites web mais non à une infime minorité, jugée illégale d'après la Loi. Mais comment imaginer qu'on en restera là ? Quid des sites qui font l'apologie du négationnisme ou de l'homophobie, pour ne reprendre que deux opinions interdites par la loi ? On ne va tout de même pas créer une "échelle de l'horreur" pour décider des sites à interdire ou pas. Voyez également l'anorexie ou l'incitation au suicide, sans parler des sectes...Je frémis non pas aux sites que l'on veut fermer aujourd'hui, mais aux sites que l'on voudra fermer demain et après-demain. L'Enfer est pavé de bonnes intentions suis-je tenté d'écrire, même si les obstacles ne manqueront pas. Voyez aussi l'anecdote suivante, que je vous certifie authentique : une entreprise du secteur privé décide de filtrer les accès internet de ses salariés. Pour ce faire elle prend un abonnement auprès d'un fournisseur qui recense dans une base de données les sites interdits. A l'installation le filtre est monté tel quel, c'est-à-dire que l'entreprise n'a ajouté ou retranché aucun autre site que ceux listés d'origine par le fournisseur. Les sites internet des quatre principales centrales syndicales (CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC) sont filtrés - autrement dit interdits - alors que dans le même temps les sites internet de la CFE-CGC et du MEDEF sont autorisés(2). Où s'arrêtera la future loi ? Qui décidera des sites à filtrer ou pas ? Faudra t-il par exemple interdire les sites "créationnistes" ? Et quel comportement adopter face aux sites internet qui militent pour légaliser ce qui est aujourd'hui interdit par la loi(3) ? Je l'ai déjà écrit et je le répète sans état d'âme, la liberté sur Internet est un bien précieux qu'il faut cultiver en dépit de ses mauvaises graines.
(1) Outre le blocage des sites internet faisant l'apologie de la pédopornographie, Nicolas Sarkozy a annoncé dans la même journée la création de 200.000 places d'accueil pour jeunes enfants, la mise en place d'un "statut" pour le beau-parent, un projet de loi concernant l'adoption ainsi que la prochaine tenue d'un conseil inter-ministériel dédié à l'Outre-mer. (2) L'entreprise a tout de suite admis qu'il y avait un "problème", et a retiré du filtre les sites syndicaux en question. (3) Exemple de l'adoption par des couples homosexuels, de la procréation par mère porteuse ou du droit à l'euthanasie.
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